III. COTATION DU DINAR:GARE AUX SLOGANS DÊVASTATEURS

Sur la scéne internationale,comme sur la scéne nationale,les puissants de ce monde font payer leurs erreurs et leur aventurisme aux petits.

Ainsi,par les accords de Bretton Woods de 1944,les

Etats-Unis s'êtaient engagês á assurer la stabilitê du rêgime international des taux de change en vue de faciliter les êchanges commerciaux internationaux et êviter les "guerres commerciales" par l'usage de l'arme de la dêvaluation qui avaient plongês les êconomies des pays industrialisês dans une crise êconomique et sociale sans fin et ouvert la porte á l'instabilitê politique,dêbouchant finalement sur la seconde guerre mondiale.

Suivant ce systéme,qui a tenu pendant vingt-sept ans,de 1944 á 1971,le dollar devait servir de monnaie d'ancrage,avec une valeur fixe de 35 dollars l'once.Dans cette construction,le FMI jouait le rõle de'agence centrale de surveillance du respect des régles du jeu sur la scéne monêtaire internationale et de banque centrale des banques centrales chargêe d'aider les pays qui avaient adhêrê á son accord á le respecter.

Ce systéme ne pouvait fonctionner que si les Etats-Unis maintenaient dans leurs rêserves un montant suffisant d'or pour le changer contre toute demande de conversion de dollars faites par les pays qui en dêtenaient.En fait,toute la politique êconomique et financiére amêricaine devait avoir pour objectif de veiller á cette paritê.

Mais,á partir de 1961,c'est-á-dire pendant la prêsidence de John F. Kennedy,le gouvernement amêricain dêcide d'intervenir militairement et directement au Vietnam du Sud,d'abord secrétement,puis ouvertement,pour y maintenir le statu-quo politique et territorial êtablis par les accords de paix de 1954.

Cette politique d'intervention,de plus en plus massive,et de plus en plus coüteuse,impliquait l'accroissement des ressources budgêtaires consacrêes á la guerre,et corollairement le montant du dêficit budgêtaire utilisê á des fins non productrices de richesses,et les importations de matiéres premiéres et de produits semi-finis destinês á approvisionner l'industrie militaire.

Peu á peu les Etats-Unis s'enfoncérent dans une situation de cessation de payement á l'êgard de leurs partenaires commerciaux

internationaux,qu'ils payaient en dollars êmis sans la contre- partie êquivalente en stock d'or.

Le 15 Aoüt 1971,ne pouvant plus tenir ses promesses de soutien d'un systéme international de paritê des taux de changes et de stabilitê de ces taux,le gouvernement amêricain dêcide simplement et unilatêralement de rendre le dollar inconvertible en or.

Ainsi,une option politique et diplomatique de cette grande puissance dans une rêgion du monde qui lui apparaissait de grande importance stratêgique,aboutit á l'effondrement du systéme monêtaire international êtabli pour êviter que le monde ne soit replongê dans la situation êconomique et financiére qui avait dêbouchê sur la Seconde Guerre mondiale.

Il fallut sept annêes de nêgociations,dans lesquelles les pays en voie de dêveloppement ne jouérent qu'un rõle de figurants,plus ou moins actifs,pour aboutir á la Seconde rêvision des Articles du FMI,adoptêe le 1er avril 1978 et qui donnait officiellement á chaque pays la libertê de choisir son rêgime de change,en particulier le mêcanisme de dêtermination du taux de change de sa monnaie,et la dêfinition des limites de son pouvoir libêratoire.

Les diffêrents pays-membres du FMI avaient,en gros,trois options en ce qui concernent le mêcanisme de dêtermination de leurs taux de change:

Quant au pouvoir libêratoire,les diffêrents pays pouvaient choisir soit la convertibilitê,c'est-á-dire la possibilitê pour les dêtenteurs de leur monnaie d'effectuer des transactions courantes aussi bien á l'intêrieur qu'á l'extêrieur de ces pays d'êmission,soit la non-convertibilitê:les dêtenteurs de ces monnaies ne pouvaient les utiliser que pour leurs transactions courantes intêrieurs.

Les statuts du Fonds donnent,en fait,la prêfêrence á la convertibilitê des monnaies pour les transactions internationales couvrant le commerce des biens et services;les transactions en capital ne sont pas soumises aux régles du FMI et demeurent de la compêtence exclusive de chaque pays-membre.

L'article VIII(section 2a) de ces statuts prêcise que:

"..aucun membre n'imposera,sans l'approbation du Fonds,de restrictions sur les paiements et transferts affêrents á des transactions internationales courantes."

Les restrictions aux paiements et transferts sont considêrêes comme provisoires et leur application est suivie par les services du Fonds,qui prêparent un rapport annuel sur chaque pays se prêvalant de ces restrictions á caractére provisoire,et dans le cadre de l'article XIV(section 3)des statuts de l'institution monêtaire internationale.

Les pays á taux de change flottant avaient,par

dêfinition ,choisi la libre convertibilitê de leurs monnaie.Les pays qui avaient optê pour l'indexation sur une monnaie ou un panier de monnaie pouvaient indiffêremment aller vers la convertibilitê ou la non-convertibilitê.

En 1973,soit avant l'adoption du second amendement aux articles du FMI,l'Algêrie dêcida de prendre la voie de l'indexation du dinar sur un panier de monnaies,et de la non- convertibilitê,solution sage á l'êpoque,car elle permettait le maintien du contrõle de la valeur du dinar sur la base de choix êconomiques internes,d'êviter á avoir á êtablir sa politique êconomique et financiére sur la base de la dêfense de la stabilitê de cette monnaie sur un marchê international dont les mêcanismes et le contrõle êchappait á son influence.

Cependant,mëme si la valeur de la monnaie nationale est êtablie unilatêralement par les autoritês monêtaires,cela ne veut pas dire qu'elle peut ëtre fixêe en totale nêgligence du sous- bassement êconomique et financier de cette monnaie.

Quels que soient les mesures de contrõle de la circulation des biens et personnes qu'on prend,on ne peut pas isoler une êconomie nationale des influences extêrieures.L'êtanchêitê n'est possible que si le pays dêcide de vivre en totale autarcie,donc de ne rien exporter et de ne rien importer,politique tout á fait possible,bien qu'absurde et ne pouvant mener le pays qui la suit qu'á la ruine et l'appauvrissement total.

De plus,la politique êconomique ,budgêtaire et financiére du pays concernê influe directement sur les niveaux de prix intêrieurs,et donc sur le pouvoir d'achat intêrieur de la monnaie nationale;il est possible,mais êgalement absurde,que la valeur de la monnaie nationale se dêtêriore á l'intêrieur du pays ,mais qu'elle se renforce par rapport aux monnaies êtrangéres du panier ou á la monnaie convertible d'indexation.

Lá aussi,les consêquences de ce diffêrentiel de valeur sur l'êconomie sont dêvastatrices s'il n'y est pas remêdiê rapidement.

La spêculation,la constitution excessive de stocks de produits importês,la perte de compêtitivitê interne des marchandises produites localement par rapport aux marchandises importêes,l'extension de la corruption pour l'accés aux devises et aux autorisations d'importations,la crêation d'un marchê paralléle des devise,qui couvre des besoins d'importation á usage spêculatif ou de consommation superflue,causant des perturbations dans les êquilibres êconomiques internes en orientant une partie de l'êpargne nationale vers des activitês parasitaires,telles sont,entre autre,les consêquences nêgatives d'une politique de taux de change appliquêe sans tenir compte des donnêes

êconomiques ,financiéres et budgêtaires nationales.

Ce sont lá des phênoménes dont la source est le refus des autoritês monêtaires de prendre acte de la "dêvaluation intêrieure" de la monnaie nationale qu'est l'inflation, et de rêduire,en consêquence sa valeur en devises.

Une banque centrale ou un gouvernement ne peuvent pas arbitrairement fixer le taux de change de la monnaie nationale.

Finalement,la structure du panier de monnaies reèues des exportations est un dêterminant important du pouvoir d'achat extêrieur de la monnaie nationale.

Si,par exemple,ce panier ne comporte qu'une seule monnaie,c'est la fluctuation de cette monnaie par rapport aux monnaies nêcessaires pour payer les importations qui dêterminera la capacitê rêelle de payement extêrieur de l'êconomie en

cause,et donc le taux de change de la monnaie nationale;il est,lá aussi,absurde de maintenir la valeur nominale de sa monnaie nationale lorsque la devise disponible pour payer les importations,donc,d'abord acheter les devises á cet effet,se dêvalue.

On n'est riche que par la valeur de ce qu'on posséde.Et si ce qu'on posséde perd de sa valeur,la richesse diminue d'autant,et donc le pouvoir d'achat.

Ce qu'on constate,c'est qu'en fait,en matiére de taux de change,l'Algêrie s'est mise dans la plus absurde et la plus difficile des situations:

Comme cette libêralisation est encore limitêe par le rationnement de l'accés aux moyens de payement extêrieurs

disponibles á la Banque centrale ou dans les banques primaires sous forme de lignes de crêdit auprés de banques êtrangéres,et á la suite de mesures prises en avril 1992 et complêtêes rêcemment,par les restrictions directes á l'importation de certains biens,le dinar n'a pas encore atteint,sur les marchês paralléles,sa valeur la plus basse,et de loin;si la libêralisation du commerce extêrieur est plus poussêe,et c'est ce á quoi la Banque mondiale et le FMI,fidéles á leur schêma de politique de restructuration et de stabilisation,veulent engager le gouvernement algêrien,le taux de change du dinar sur le marchê libre chutera encore plus,d'autant que les difficultês de payement extêrieur ont contribuê á freiner la production nationale,mëme dans le secteur agricole.

Certes,ce dernier secteur a,faut-il le rappeler?au cours de ces deux derniéres annêes,bênêficiê de conditions climatiques exceptionnellement favorables,permettant une três forte augmentation de la production,de l'ordre de cinquante pour cent par rapport aux montant des rêcoltes annuelles moyennes,et une rêduction simultanêe des pressions á l'importation de produits alimentaires,et contribuant á renforcer la crêdibilitê du taux de change officiel et á freiner la dêtêrioration des taux de changes sur les marchês paralléles.

Si les conditions climatiques tournent á la sêcheresse l'an prochain,ce qui n'est pas improbable,vu le cycle mêtêorologique auquel est soumise la pluviomêtrie de notre pays,le potentiel d'inflation encore existant aura un effet encore plus dêvastateur sur la valeur du dinar au taux libre,comme au taux officiel d'ailleurs.

Malheureusement,une situation de sur-liquiditê ne se soigne pas seulement par la restreinte budgêtaire et la rêduction de la crêation directe ou indirecte de monnaie,mais par la reprise de la croissance,qui proviendra de la conjonction de l'amêlioration de la productivitê des outils de production disponibles et de la reprise des investissements productifs,seuls vrais moteurs de la crêation de richesses et d'emplois;dans les deux cas,la disponibilitê de moyens de payements extêrieurs de niveau adêquat est une condition "si ne qua non;"

-le choix d'un panier de monnaies pour êtablir la cotation du dinar n'apparaït pas cohêrent au regard de la composition des moyens de payement reèus de notre commerce extêrieur,et dans lesquels le dollar a occupê entre 90 et 98 pour cent de leur total.

En fait,que cela soit politiquement acceptable ou non,l'Algêrie se trouve dans la zone d'influence du dollar(1);et cela n'est pas prês de changer;le choix du panier de 14 monnaies en 1973 êtait plus motivê par des raisons politiques qu'une logique êconomique.

A l'êpoque,forte de sa prospêritê "superficielle"gagnêe grãce á l'augmentation circonstancielle et "traitresse" du prix des hydrocarbures,notre pays militait pour la crêation d'un panier de monnaies internationales qui aurait constituê le moyen de payement des exportations des matiéres-premiéres,idêe plus ou moins inspirêe du schêma de Pierre Mendês-France,un leader socialiste franèais de l'êpoque.

Dans le domaine monêtaire,abandonner la substance au profit de l'apparence,comme notre pays l'a fait dans bien d'autres occasions,c'est se compliquer inutilement sa tãche et se crêer une fausse image de son indêpendance de prise de dêcision.

On ne peut pas choisir une solution qu'interdit la structure de notre êconomie,structure dont la modification n'obêit pas aux slogans politiques á des fins de gains de prestige momentanês et sans lendemain .

Nous nous sommes retrouvês prisonniers de notre propre rhêtorique êconomique et,en mëme temps,nous avons contribuê á miner notre êconomie et á la pousser á la quasi mono-production et á une dêpendance êconomique extêrieure qu'aucun de nos plus proches voisins gêographiques ne connaït.

Les mêcanismes de taux de change ne sont pas des gadgets dont l'objectif serait de prouver la dextêritê de nos expertes monêtaires;ils doivent reflêter notre pouvoir d'achat extêrieur qui provient avant tout du taux de change du dollar par rapport aux monnaies que nous utilisons pour payer nos importations.

Nous pouvons constater le paradoxe de la situation prêsente oú,sous l'effet d'une politique de relance de l'êconomie amêricaine tirêe par l'abondance des crêdits et donc la rêduction de leur

coüt ,c'est-á-dire des taux d'intérët,le dollar a perdu de sa valeur,rêduisant donc le pouvoir d'achat de nos recettes d'exportations alors que,du fait de la composition du panier de monnaies,le dinar se rêêvalue.

Par quel paradoxe,par quelle figure compliquêe de rhêtorique,pouvons-nous donner une explication logique á cette situation absurde oú la valeur du dinar va dans le sens inverse

de la valeur de la devise dans laquelle rêside la richesse extêrieure de l'Algêrie,et donc le pouvoir d'achat extêrieur de notre êconomie?

En conclusion

-L'Algêrie a fait,en 1973,un bon choix en dêcidant de ne pas

rendre le dinar convertible,car la structure de son êconomie,qui dêtermine sa capacitê d'acquêrir des moyens de payements extêrieur par ses exportations,n'êtait pas suffisamment diversifiêe et flexible pour lui permettre de dêfendre,sans prêjudice grave pour son appareil de production,un taux de change dêterminê du dinar;cette situation n'a pas changê depuis;de plus l'êconomie,dont les maux qui la caractêrisent depuis longtemps,ont êtê mis á nu par la chute du prix des hydrocarbures et la dêvaluation paralléle du dollar,connaït un êtat de dêlabrement tel que toute tentative de la soumettre encore plus á la concurrence internationale,qui est l'effet recherchê de la convertibilitê,serait pour elle "le baiser de la mort;"il est irresponsable d'envisager,dans les conditions actuelles,une convertibilitê mëme partielle du dinar,sauf á utiliser une partie des rêserves de changes pour le dêfendre,á rêduire encore plus les dêpenses publiques,tout en augmentant les impõts,á êlever á un niveau sur-usuraire les taux d'intêrëts sur les crêdits bancaires tout en limitant encore plus l'accés aux financements de la banque centrale;autant passer "au bulldozer" l'appareil de production,arrëter tous les investissements á l'exception de ceux consacrês au secteur gênêrateur de devises, c'est-á-dire le secteur des hydrocarbures!

-Vu la dêtêrioration de la productivitê de l'appareil de

production,non seulement en raison de causes hêritêes,comme le mauvais choix des filiéres technologiques,de la dimension et de la localisation,et de la philosophie de gestion et de financement,mais êgalement du fait des ruptures de stocks de produits semi-finis et de matiéres premiéres,du vieillissement de l'outil de

production ,accêlêrê par un mauvais entretien,la politique de "restreinte financiére"destinêe á rêduire les poussêes inflationnistes et donc la pression á la dêvaluation du dinar,ne peut avoir que l'effet inverse de celui recherchê,et ouvrir le chemin á une inflation encore plus forte et un diffêrentiel de taux de change entre le marchê officiel et le marchê paralléle encore plus large;ce diffêrentiel a êtê peut-ëtre rêduit en pourcentage,passant d'un maximum de 400 pour cent avant la dêvaluation, demandêe par le FMI,de janvier 1991,á 150 pour cent actuellement,mais a augmentê en termes absolus,passant de 17 dinars á 28 dinars par dollar(environ 22 dinars le dollar au taux

de change officiel contre 50 dinars au taux paralléle);si la libêralisation du commerce extêrieur est poussêe plus avant,ou si,comme le prêvoit le programme de travail mis en place aprês l'assassinat du Prêsident Mohammed Boudiaf,un marchê officiel libre des changes est crêe,ce diffêrentiel s'accentuera sans aucun doute;

-Le panier de monnaies choisi pour la dêtermination de la cotation du dinar est un mêcanisme trop complexe pour la

composition mono-devise de nos recettes d'exportations,qui dêtermine notre capacitê d'importation et de remboursement de notre dette en montant et en composition,et conduit á des situations paradoxales de rêêvaluation du dinar en conjoncture de perte du pouvoir d'achat du dollar sur les marchês oú nous empruntons et nous approvisionnons;il est temps de mettre fin á ce mêcanisme,dont l'adoption avait une certaine valeur politique á une certaine pêriode de notre histoire passêe,qui a contribuê á nous voiler la rêalitê êconomique d'oú la monnaie nationale prend sa valeur,et n'a pas jouê un rõle nêgligeable dans la crêation des distorsions que connaït notre êconomie et les mauvais choix de politique êconomique,pris au nom de l'indêpendance êconomique,mais qui,comme c'êtait prêvisible depuis longtemps,nous ont rêduit á la merci de nos crêanciers,de nos fournisseurs,des pays industrialisês,et de leurs instruments la Banque mondiale et le FMI;

-Finalement,les slogans ne peuvent remplacer une politique êconomique cohêrente ouvrant la voie au retour á une croissance êquilibrêe qui nous fasse sortir du cercle vicieux de la situation de quasi mono-production,fondêe sur les Hydrocarbures,croissance suffisante pour donner un niveau de vie dêcent et un renouveau d'espoir á une population qui,par un choix politique dêlibêrê,s'accroït plus rapidement que la capacitê de crêation de richesses et d'emplois par l'appareil de production et que les ressources en eaux et en terres productives disponibles ou á exploiter.

(1)1 .-Malgrê l'absence de relations diplomatiques et commerciales avec les Etat-Unis,le Vietnam a

accrochê sa monnaie nationale,le dong,au dollar.